La Tour aux figures
Une œuvre utopique
L’usager de cette demeure, à défaut d’autre luxe, y jouira d’une exceptionnelle profusion d’espace où se déplacer librement sans portes à passer. Avec le plaisir d’un habitat grimpant comme celui d’un mouflon.
Jean Dubuffet
Vue de l'extérieur
Sur cet « épiderme » polychrome, des tracés s’imbriquent les uns dans les autres et donnent naissance à des corps et visages, figures « humaines ou non ». Sur la face sud, apparaît celle d’une femme en pied tandis que sur la face nord, deux têtes se superposent. Ailleurs, les formes composent d’autres figures, incertaines et fugaces qui se font et défont au gré du regard, marquant ainsi le caractère illusoire du monde que nous croyons réel.
Avec cette œuvre, et ses tracés, Jean Dubuffet cherche aussi à traduire matériellement les cheminements rêveurs de la pensée, qui sont eux par essence immatériels
Intérieur : le Gastrovolve
La structure interne, est une longue montée qui s’épanouit par endroit en petites esplanades plus ou moins planes. Cette deuxième œuvre, intitulée par l’artiste le Gastrovolve, évoque la rotation, l’intimité viscérale d’un organisme. C’est un étonnant labyrinthe intérieur que les visiteurs sont invités à ressentir : ses parois peintes de tracés noirs sur fond blanc se découvrent par fragments. Le visiteur marche sur le sol peint, gravit ou redescend quelques marches, sans jamais en voir la totalité. Pour l’artiste, le Gastrovolve favorise la rêverie du promeneur solitaire et permet aux visiteurs d’entrer dans les images, d’en être acteur.
Dans cet édifice sans fenêtre, la montée longue de 117 mètres évoque une promenade en montagne, coupée de paliers, de rampes qui conduisent sinueusement à une haute salle située au sommet.
Illustration : Le Gastrovolve (face est), troisième maquette du conditionnement intérieur de la Tour aux figures
Toutes photos de l'intérieur de la Tour aux figures : © Jean Dubuffet, la Tour aux figures, ©ADAGP, Photo : Willy Labre / Département des Hauts-de-Seine
L’histoire de la tour
Avant d’être l’édifice monumental que nous connaissons aujourd’hui, la Tour aux figures a d’abord été une maquette en polystyrène expansée conçue en 1967 par Jean Dubuffet dans le cadre du cycle d’œuvres de l’Hourloupe
Dès cette date, l’aménagement et l’usage de la Tour aux figures font l’objet d’analyses très fouillées : ce n’est déjà plus une sculpture mais une construction qui relève de l’architecture. Toutefois à ce moment-là l’artiste n’envisage pas d’agrandissement. En 1968 l’œuvre est présentée dans l’ouvrage Édifices, consacré aux projets d’œuvres monumentales de Jean Dubuffet et lors de l’exposition « Édifices, projets et maquettes d’architecture » au musée des Arts décoratifs. Quinze ans plus tard, en 1983 l’artiste la choisi pour honorer la première commande publique faite par l’État français d’une œuvre à bâtir à Paris.
Le choix d’un emplacement pour la Tour aux figures n’a pas été aisé, plusieurs sites sont envisagés puis abandonnés suite à des protestations de riverains et polémiques (place d’Italie, parc de la Villette, parc de Saint-Cloud). Suite à cela plusieurs collectivités locales se portent volontaires pour accueillir la sculpture. C’est ainsi que la proposition d’André Santini, maire d’Issy-les-Moulineaux est retenue puis approuvée par Jean Dubuffet qui visite l’Île Saint-Germain en janvier 1985, peu de temps avant son décès. A cette occasion, il recommande que la tour soit édifiée sur la petite butte où elle se trouve aujourd’hui et malgré le décès de l’artiste en mai 1985 la Tour aux figures existe telle qu’il l’a souhaitée.
Quelques dates
- 1967 : Conception de la maquette de la Tour aux figures par Jean Dubuffet
- 1983 : Commande passée par l’Etat (Centre national des arts plastiques) à Jean Dubuffet
- 1985 : Choix de l’emplacement dans le parc de l’Île Saint-Germain
- 1986-1988 : Construction de la Tour aux figures
- 1988 : Inauguration de la Tour aux figures
- 1992 : Inscription aux monuments historiques
- 2008 : Classement au titre des monuments historiques
- 2015 : Cession de l’œuvre de l’Etat au Département des Hauts-de-Seine
- 2020 : Réouverture après rénovation
La construction de la tour
La construction de la tour a été menée par l’Etat, par le biais du Centre national des arts plastiques, entre 1986 et 1988 et avec l’appui de la Fondation Dubuffet suite au décès de l’artiste en 1985. Cela a nécessité de faire appel à des techniques et matériaux complexes : béton armé, poutres métalliques, résine époxy, peinture polyuréthane mate et carton armé.
A l'extérieur, la tour est constituée de 90 panneaux en résine époxy, fabriqués et peints en atelier puis assemblés entre eux par collage et fixés à une ossature secondaire en tube.
A l'intérieur, les différents niveaux du Gastrovolve (œuvre dans l’œuvre et structure interne) sont en béton armé tandis que les murs intérieurs, plafonds et sols, sont constitués par un voile de plâtre projeté selon les formes et volumes imaginés par Jean Dubuffet. Ils ont reçu ensuite les tracés à la peinture noire sur fond blanc conçus par l'artiste.
La Tour aux figures c’est …
24 m de hauteur
10 000 m2 de tissus de verre
10 t de résine époxy
25 t d'armatures métalliques
350 m3 de béton
70 t de plâtre projeté
La restauration de la Tour aux figures
Le Département des Hauts-de-Seine avait proposé à l’État d’assurer la sauvegarde de la Tour aux figures en contrepartie d’un transfert de propriété, réalisé en 2015. Les travaux, engagés par le Département des Hauts-de-Seine et achevés en 2020, ont été menés sous l’égide de Pierre-Antoine Gatier, architecte en chef des Monuments historiques en concertation étroite avec la Fondation Dubuffet. Ils ont été réalisés avec le plus grand soin et la rigueur indispensable à la restauration d’une œuvre à la fois emblématique de l’art contemporain et classée Monument historique en 2008.
Cette ambitieuse opération de restauration s’est faite avec l’appui d’un comité scientifique composé d’experts de plusieurs institutions :
- la Fondation Dubuffet
- la Direction régionale des affaires culturelles
- la Direction générale des patrimoine
- le laboratoire de recherche des Monuments historiques
- le Centre de recherche et de restauration des Musées de France
L’opération de restauration a concerné :
- la peinture de l'extérieur
- le traitement du socle (étanchéité et revêtement du sol)
- la réfection de l'éclairage extérieur pour une mise en lumière nocturne
- l’aménagement des abords paysagers
- la révision technique de l'intérieur de la tour en vue de la rouvrir au public
La restauration a permis de retrouver une œuvre au plus proche des volontés de l’artiste grâce à des études scientifique et au savoir-faire de spécialistes. Pour s’assurer que les formes et les couleurs de la tour restaurée correspondent à la volonté d’origine de Jean Dubuffet de véritables recherches scientifiques ont été menées sur les maquettes originales.
La peinture de l’extérieur a été faite par Richard Dhoedt, plasticien historique de Jean Dubuffet, ayant travaillé avec lui de 1968 à 1985. Après le décès de l’artiste il a également participé à la construction de la Tour aux figures.
L’environnement de la Tour aux figures n’a pas été oublié : les abords paysagers de la tour ont été aménagés afin de mieux la mettre en valeur. Ces travaux se sont inscrits dans une démarche de gestion différenciée des espaces verts et ont été conduits de manière à générer le moins de perturbations possibles dans ce site, refuge LPO et labellisé Eve®, espace vert écologique, depuis 2012.